5 idées de Sartre qui vont bouleverser votre vision de l'enfer (et de la liberté)
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| SARTRE "L'enfer c'est les autres" |
« L'enfer, c'est les autres ».
Rares sont les citations philosophiques qui ont aussi bien infiltré le langage
courant. On la murmure dans les embouteillages, on la soupire dans une file
d’attente au supermarché, comme un verdict lapidaire sur les frustrations de la
vie en société. Pourtant, cette interprétation est un contresens total de la
pensée de Jean-Paul Sartre. Loin d’être une simple plainte misanthrope, cette
phrase est la clé d’une réflexion vertigineuse sur la liberté, la
responsabilité et la nature même de notre existence. En déconstruisant cinq
idées clés de Huis clos, nous verrons que l'enfer sartrien n'est pas une
fatalité imposée par les autres, mais une prison que l'on construit soi-même en
abdiquant sa propre liberté, un acte de « mauvaise foi » aux conséquences
éternelles.
1. « L'enfer, c'est les autres » ne signifie pas ce que vous pensez.
L'interprétation la plus répandue voudrait que
Sartre nous dise que nos relations avec autrui sont, par nature, empoisonnées
et conflictuelles. Une vision pessimiste où l'autre est toujours un obstacle à
notre bonheur. Or, l'intention du philosophe était tout autre, comme il l'a
lui-même clarifié.
« Je veux dire que si les rapports avec autrui
sont tordus, viciés, alors l’autre ne peut-être que l’enfer. Pourquoi ? Parce
que les autres sont au fond ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes pour
notre propre connaissance de nous-mêmes. [...] si mes rapports sont mauvais, je
me mets dans la totale dépendance d'autrui. Et alors en effet je suis en enfer.
Et il existe une quantité de gens dans le monde qui est en enfer parce qu'ils
dépendent trop du jugement d'autrui. »
L'enfer sartrien n'est donc pas la simple
présence des autres, mais un état de dépendance totale à leur jugement. Cet
état survient lorsque nos relations sont faussées, basées sur la mauvaise foi
et la fuite de nos responsabilités. Le regard de l'autre nous fige, nous
transforme en objet, nous étiquette et nous aliène de notre propre liberté.
Pour Sartre, l'autre est indispensable pour prendre conscience de soi, mais le
danger mortel réside dans le fait de sacrifier sa liberté sur l'autel de son
jugement. Cet état de dépendance psychologique trouve sa parfaite expression
dans le décor même que Sartre imagine pour son enfer : un lieu conçu non pour
brûler les corps, mais pour mettre les âmes à nu.
2. L'enfer de Sartre est un simple salon, sans feu ni fourches.
Oubliez les chaudrons bouillants de Dante et les
créatures torturées de Bosch ou Breughel. L'enfer de Sartre, tel qu'il est
dépeint dans Huis clos, est un simple salon de style Second Empire. Il
n'y a ni bûcher, ni gril, ni instruments de torture. La souffrance n'y est pas
physique, mais purement psychologique, ce qui la rend peut-être plus terrible
encore. Le coup de génie de Sartre est de comprendre que le véritable effroi ne
naît pas de la barbarie, mais de l'exposition ininterrompue de notre
conscience.
Le détail le plus glaçant de ce décor est
l'absence totale de miroirs. Cette absence n'est pas un oubli ; elle est au
cœur du mécanisme infernal. Privés de leur propre reflet, les personnages sont
condamnés à ne se voir qu'à travers le regard des autres. Leurs compagnons
d'infortune deviennent des miroirs vivants, mais des miroirs déformants, qui ne
renvoient qu'une image figée par le jugement. Cette dépendance forcée au regard
d'autrui exacerbe leur aliénation et les emprisonne dans la perception que les
autres ont d'eux.
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| 5 Idées étonnantes de SARTRE |
3. En enfer, les personnages sont leurs propres bourreaux.
Dans le salon de Huis clos, il n'y a pas de démon désigné pour infliger les châtiments. Les trois personnages damnés – Garcin, le lâche ; Inès, la sadique ; et Estelle, l'infanticide – se chargent eux-mêmes de la torture. C’est Inès, la plus lucide et authentique du trio, celle qui « rejette tous faux-semblants », qui résume le mécanisme avec une clarté glaçante : « Le bourreau, c'est chacun de nous pour les deux autres. »
Une dynamique infernale et autosuffisante se met
en place. Estelle, pour exister, a un besoin vital du regard masculin, d'être «
objectisée » ; elle désire donc Garcin. Inès, qui a besoin de « la souffrance
des autres pour exister », désire Estelle, non seulement par attirance mais
aussi par sadisme. Garcin, quant à lui, est obsédé par sa lâcheté et a
désespérément besoin de la validation d'Inès. Pourquoi elle ? Parce qu'il la
considère « de [sa] race » et que seule sa lucidité implacable peut l'absoudre.
Le jugement d'Estelle n'a aucune valeur, car il serait dicté par le désir.
Chacun détient ainsi la clé de la torture de l'autre, formant un cercle vicieux
où les âmes elles-mêmes sont les rouages d'une mécanique parfaite de
souffrance.
4. Vous êtes « condamné à être libre ».
Ce concept est l'une des pierres angulaires de
l'existentialisme sartrien. Pour Sartre, l'homme n'a pas le choix d'être libre
; c'est sa condition fondamentale. Il est « jeté » dans le monde sans nature
prédéfinie, sans plan divin pour le guider.
Mais cette liberté n'est pas un cadeau ; c'est un
fardeau. Être libre signifie être entièrement et totalement responsable de
chacun de ses actes. Chaque choix que nous faisons n'engage pas seulement notre
propre personne, mais dessine une image de ce que nous pensons que l'humanité
entière devrait être. Cette responsabilité totale est source d'une angoisse
profonde. Face à cette angoissante liberté, Sartre identifie une échappatoire
aussi commune que tragique : la « mauvaise foi ». C'est l'acte de se mentir à
soi-même, de se cacher derrière des excuses, des déterminismes (« je n'avais
pas le choix ») ou un rôle social pour ne pas assumer sa liberté. Garcin, qui
prétend être un héros pacifiste pour masquer sa désertion, et Estelle, qui
refuse d'admettre ses crimes en se voyant comme une victime, sont les
incarnations parfaites de cette mauvaise foi. Cette « mauvaise foi » est le
venin qui vicie les relations humaines et les transforme en cet enfer que
Sartre décrit.
5. Vous n'êtes rien d'autre que la somme de vos actes.
La thèse la plus radicale de Sartre est sans
doute résumée par la formule : « l'existence précède l'essence ». Pour démystifier
ce qui pourrait sembler une abstraction philosophique, Sartre recourt à une
analogie d'une simplicité désarmante : celle du coupe-papier. Un artisan
fabrique un coupe-papier en se basant sur un concept préexistant. Pour l'objet,
l'essence (l'idée) précède son existence (sa matérialisation).
Pour l'homme, c'est l'inverse. Il n'y a pas de
concept d'« homme » préétabli. L'homme existe d'abord, surgit dans le monde, et
ce n'est qu'après, par ses choix et ses actions, qu'il se définit et se
crée une essence. Il n'y a pas de « nature humaine ». L'homme, dit Sartre, «
n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait ».
C'est là le drame des personnages de Huis clos.
Ils sont en enfer car ils sont morts. Ils ne peuvent plus agir pour changer ce
qu'ils sont. Leurs vies sont terminées, et la somme de leurs actes a figé leur
essence pour l'éternité. Ils sont devenus un lâche, une femme cruelle, une
égoïste. Ils sont « encroûtés » à jamais dans l'être qu'ils se sont eux-mêmes
forgé.
L'enfer, pour Sartre, n'est donc pas un lieu de
flammes et de châtiments divins. C'est une condition profondément humaine,
celle où nous abdiquons notre liberté fondamentale pour nous soumettre au
regard paralysant des autres. C'est l'échec de l'existence, lorsque nous
laissons les autres définir qui nous sommes, nous figeant dans une essence que
nous n'avons plus le courage de changer par nos actes. La leçon de Huis clos
est à la fois terrifiante et porteuse d'un immense espoir : tant que nous
sommes en vie, la porte n'est jamais vraiment fermée.
Si nous sommes nos choix et la somme de nos
actes, que choisissez-vous de faire aujourd'hui pour définir qui vous êtes ?
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| "Nous sommes condamnés à être libre" |
Par : SAID HARIT



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